Juste quelques mots pour vous inciter à lire
Amin Maalouf, excellent essayiste et romancier franco-libanais.
La brève introduction biographique reprise de sa "
fiche wikipédia" donne immédiatement la dimension d'un parcours teintant la richesse de ses pensées :
Né à Beyrouth, les premières années de l'enfance d'Amin Maalouf se déroulent pourtant en Egypte, patrie d'adoption de son grand-père maternel. De retour au Liban, sa famille s'installe dans un quartier cosmopolite de Beyrouth, où ils vivent la majeure partie de l'année, mais passent l'été à Machrah, village du Mont-Liban dont les Maalouf sont originaires. Son père est un journaliste très connu au Liban, également poète et peintre, issu d'une famille s'enseignants et de directeurs d'écoles. Ses ancêtres, catholiques, se sont convertis au protestantisme au XIXème siècle. La mère d'Amin est issue d'une famille francophone et catholique, dont une branche vient d'Istanbul, ville hautement symbolique dans l'imaginaire d'Amin Maalouf, la seule qui soit mentionnée dans chacune de ses oeuvres.
La lecture des ouvrages Les identités meurtrières (Grasset, 1998) et Le dérèglement du monde, quand nos civilisations s'épuisent (Grasset, 2009) devrait être obligatoire et au programme de cours d'éducation civique ou d'histoire géographie.
Rapidement, dans Les identités meurtrières, Amin Maalouf montre en quoi les clivages identitaires supplantent désormais les combats idéologiques et quelles en sont les conséquences, en termes de conflits notamment. Il déplore un "étiquetage" identitaire, soulignant que définir une identité implique de renoncer à une autre identité ou à d'autres formes d'une identité propre. Hors, comme il le formule, une identité ne peut être définie de façon immuable :
- "L'identité n'est pas donnée une fois pour toutes, elle se construit et se transforme tout au long de l'existence".
Par ailleurs, dans Le dérèglement du monde, il analyse le rééquilibrage des puissances depuis la fin de la Guerre Froide et montre non pas comment s'affrontent les civilisations, mais surtout comment elle s'épuisent dans un dialogue de sourds. Il analyse en quoi le progrès technologique dépasse l'évolution de compétences morales. Il alerte sur la nécessité du déploiement d'une véritable solidarité active internationale, insuffisamment ancrée dans les esprits. Amin Maalouf décrit avec ce qui apparaît comme une juste évidence, intelligible mais intolérable, "la barbarie de notre époque, et en particulier sur celle des deux univers culturels auxquels [il] appartien[t], à savoir le monde arabe et l'Occident".
- "Le premier paraît incapable de tolérer aujourd'hui ce qu'il tolérait il y a cinquante ans, il y a cent ans, ou même il y a mille ans. Certains livres publiés au Caire dans les années 1930 sont aujourd'hui prohibés pour cause d'impiété; certains débat qui avaient lieu à Bagdad au IXe siècle, en présence du calife abbasside, sur la nature du Coran, seraient impensables de nos jours dans n'importe quelle ville musulmane, même dans l'enceinte d'une université. Quand je pense que l'un des plus grands poètes classiques de langue arabe est universellement connu sous son surnom d'al-Moutanabbi, littéralement "celui-qui-se-dit-prophète" parce que en sa jeunesse il parcourait l'Irak et l'Arabie en proclamant de telles prétentions! En son temps, au Xe siècle, la chose provoquait des haussements d'épaules, des moqueries, des froncements de sourcils, mais elle n'a jamais empêché les croyants d'écouter le poète et d'admirer son talent; aujourd'hui, il se serait fait lyncher ou décapiter sans autre forme de procès.
- En Occident, la barbarie n'est pas faite d'intolérance et d'obscurantisme, mais d'arrogance et d'insensibilité. L'armée américaine déboule dans l'antique Mésopotamie comme un hippopotame dans un champs de tulipe. Au nom de la liberté, de la démocratie, de la légitime défense et des droits de l'homme, on maltraite, on démolit, on tue. Sept cent mille morts plus tard, on se retirera avec un vague mot d'excuse. On a dépensé un trillion de dollars, et selon certaines estimations deux ou trois fois plus, mais le pays que l'on a occupé est plus pauvre qu'avant. On a voulu combattre le terrorisme, mais celui-ci n'a jamais été aussi florissant. [...] On a prétendu instaurer la démocratie, mais on s'y est pris de telle manière que la notion elle-même en a été pour longtemps déconsidérée".
Quelle déception de n'avoir entendu Amin Maalouf en France en marge du fâcheux débat sur l'identité nationale lamentablement orchestré par le gouvernement Sarkozy. Quel dommage de ne pas l'entendre actuellement, alors que les peuples soumis aux dictatures arabes jusqu'à présent se soulèvent les uns après les autres...